Bienvenue dans ce 20ème numéro de Tendresses – une lettre de poésie résistante, illustrée et contextualisée, chaque 3ème dimanche du mois.
Fait d’annonces
mes aïeules mes enfants mes aïeux j’ai un secret TOUT VA CHANGER tout a déjà changé à dire vrai regardez! nos paysannes et paysans n’ont plus la merde au cou — juste la corde dégustez! à Mayotte les robinets débordent parfois quinze jours par mois contre wuambushu et cinq de moins en 2023 sirotez! sur les îles et la côte nord à chaque marée à défaut d’assureur vous aurez ma parole car si jusqu’aux urgences ont fermé pourquoi s’in- quiéter… mes brebis mes moutons mes gâté·es j’ai un secret TOUT VA CHANGER tout a déjà changé à dire vrai constatez! finie l’attente aux portes des maisons de santé étouffées comme des abattoirs nous les avons fermées contemplez! un professeur devant chaque classe à la rentrée et bientôt deux trois quatre dans le privé consentez! des prisonniers sans chaud ni sommiers se pendent au menton des matons nous mettrons désormais un renard de plus devant chaque poulailler mais par pitié par constance ne songez plus à ces veilles dorées et gazées ne fixez pas ces bras levés à nos frontières ni au-dedans mes ententes parlementaires… car mes crédules mes cocu·es mes trompé·es j’ai un secret TOUT VA CHANGER tout a déjà changé à dire vrai respirez! l’extrême droite n’est plus à nos trousses je la tiens au creux de ma main dans ma bouche je l’ai là! sur le bout de la langue comme une cartouche patientez! vous avez déjà pris deux années voici arriver l’acte deux trois quatre de la libéralisation laborale juste-équitable-demandée-lalala admirez! pour lutter contre la fraude nous nous y sommes essayés six-zéros effacés à droite du fisc pour réarmer le PSG car sous mon poids les tracas s’envolent un problème nommez-le je nommerai un beau conseil de hauts gradés... mes blaireaux mes victimes mes bourreaux j’ai un secret tout efficace tout agissant tout plein d’audace que tout ensorceleur laisse pour la postface le soir dans mes quartiers je fixe dans mes galeries glacières mes reflets le soir dans mon palais je m’entraîne à des formules magiques et emportées le soir face aux miroirs je repense aux gourous aux prêtres aux perroquets à la sauvette pour qui tout advient pour qui répète alors par vague de trois j’aboie des résultats des résultats des résultats tout advient pour qui répète alors par vague réac' j’implore de l’ordre de l’ordre de l’ordre à ma droite l’archange à ma gauche ne m’en parlez pas et mon verbe au centre l'annonce en essence pauvres prêcheuses couchez pour moi
— Si mon colleur savait coller…, malcio (2024).
Quelques éléments de contexte…
Ce mardi 16 janvier se déroulait, devant un parterre de 250 journalistes, le « rendez-vous avec la nation » annoncé par le Président de la République un mois plus tôt. Un événement finalement plus riche en formules qu’en annonces, dont les promesses de réarmement d’abord « académique, scientifique, technologique, industriel et agricole » (sic) puis « démographique » se sont ensuite déployées jusqu’à la base navale de Cherbourg, pour ses vœux aux armées.
Si ce numéro de Tendresses dénote quelque peu des éditions précédentes, c’est qu’il emprunte à la chanson. Dans sa structure d’abord, l’alternance entre refrains et couplets se voit nourrie par de légères variations (refrains) et des reprises légères (couplets). Fait d’annonces sous-entend ainsi connaître la chanson du Président, comme appuyé par les mentions de mesures (« l’acte deux trois quatre » / « tôt deux trois quatre ») et le long vers brisé (« demandée-lalala »).
Ces 20èmes tendresses empruntent à cet effet aux philosophes David Hume et Régis Debray : si c’est « sur l'opinion seule que le gouvernement est fondé » (Hume), les moyens de l’influencer ont évolué. Photographie, télévision, internet… Dans ce que Debray appelait dès 1993 « vidéosphère », l’État ne chercherait plus à éduquer le peuple, mais à le séduire ou, plus précisément, à « séduire les séducteurs ».
Au cœur de ce décalage et de ce poème, l’effet d’annonces ([fait d’annonces]) : faire croire à l’acte importe plus que faire l’acte. Autrement dit, dire le changement l’implique :
— TOUT VA CHANGER tout a déjà changé à dire vrai —
Sur ces prémisses, Fait d’annonces se divise en quatre parties. Les trois premières — marquées par l’usage d’impératifs en écho au ton d’anciennes publicités (e.g. « Ne téléglobez pas, lisez Télérama ! » la presse indé) — explorent trois thèmes : l’écologie, les services publics, et les compromis(sions) politiques.
Mayotte les concentre à elle seule : le manque d’eau sur l’île (deux jours sur trois en septembre, un jour sur deux depuis très peu) résulte de la sécheresse autant que d’une mauvaise gestion politique. L’année dernière, alors que des porte-conteneurs approvisionnaient le 101ème département en bouteilles d’eau, le gouvernement y déclenchait l’opération Wuambushu (« reprise » en mahorais) pour expulser les étrangers en situation irrégulière.
— dégustez! à Mayotte les robinets débordent parfois quinze jours par mois contre wuambushu et cinq de moins en 2023 —
Alors qu’Emmanuel Macron a profité de son « rendez-vous » pour citer sans le nommer un slogan d’Eric Zemmour (« pour que la France reste la France »), le 3ème couplet de Fait d’annonces vient ainsi consacrer la fusion de l’ultradroite économique et de l’ultradroite conservatrice : loi immigration, annonce d’une nouvelle réforme du marché du travail, évasion fiscale impliquant le ministre de l’Intérieur en faveur du PSG.
S’amorce alors le dernier couplet du poème et la révélation d’un secret. Plus qu’un sarcasme sur les triptyques du chef de l’État et de son nouveau Second, se joue ici une ritualisation religieuse des déclarations du Président (« mes victimes mes bourreaux »).
La préparation — fixer ses reflets dans les « galeries glacières », s’entraîner aux formules « magiques et emportées » — laisse alors peu à peu place à une forme de messianisme. Car si dire vaut faire, comment interpréter le « réarmement démographique » ?
— l'annonce en essence pauvres prêcheuses couchez pour moi —
Une dernière strophe concluait originellement Fait d’annonces, retirée par souci de cohérence. S’agissant toutefois de l’interrogation première de ce poème, la voici glissée ci-dessous :
—
restent au poème des broutilles
la moelle des mots
est-elle vidée ou bien vide
pour laisser aux tendres le soin
de remplir leur coquille ?
—
Tendre année 2024, et à bientôt,
malcio
Poème très lucide sur la novlangue machiavélique des narcisses-automates-arlequins..Terriblement agréable à lire.
C'est très beau malheureusement très vrai ..
Mais malgré les politiques dans le monde il y a des gens qui s'entraide bienveillant et surtout heureux. Un repas une rencontre un sourire te rappelle notre humanité.
Bravo ton poème tjrs très juste .
Citation lu au senegal : La vie appartient à ceux qui se lève de bonheur !!