Tendresses treizièmes (bis)
Bienvenue dans ce numéro 13bis de Tendresses. Chose promise, chose due : le verdict du procès Justice pour le Vivant est tombé ce matin, l’occasion de compléter ce poème du 18 juin avec les 8 vers qui manquaient alors à l’appel.
Dommages et des intérêts
au premier jour l’eau créa la terre au second les bananes le coton au troisième jour l’homme repu l’homme vêtu vit que cela n’était pas assez à lui les esclaves l’exploitation l'expropriation les plantations au quatrième jour l’homme-plein les autres moins vit que cela était compliqué et sema à coups de fouets la chimie dans les sillons la chimie sur les charançons les maronnes et les marrons au cinquième jour les champs suintèrent rouge sang et vert poison l’homme-industrie regarda ses comptes et vit que cela était perfectible au sixième jour il fit campagne et sema en son frère souverain à coups de Cocagne la graine du pétrin vous savez la science va et vient elle tâtonne tout sourit à qui sait : les causes naissent variées les concurrents plus encore savez-vous que vous jouez si ce n’est votre tête, au moins votre couronne or dans la sixième nuit la Ronde des ventres creux des poches trouées des lépreux souffla sur le brasier des jours premiers au septième jour naquit un nouveau fruit d’espoir de raison de mélancolie et à la huitième aube la Ronde comme un chœur d’étoiles anémiées s’arma de même les mains sur la hache sous l'oreiller * * * puis à l’énième jour à l’énième chant la Ronde s’assit en rangs prête à voir éclore la dernière fleur du printemps sur l’estrade la juge écoute la Cafteuse publique défiler les registres faire le décompte millions de vermines millions de pierrots millions d'alevins millions d'achets millions en moins en cause l’homme-industrie la main dans la main de son frère souverain millions en jeu alors dans un silence colombe la Ronde sort les crocs et la juge le micro la parole va maintenant au gouvernement : Sinistre des champs — absent Sinistre des charbons — absent Sinistre des clients — absent Sinistre des colons — absent Sinistre des créances — absent Sinistre de la nouvelle gestion publique — absent la parole va donc au méchant madame la Juge messieurs en cravate madame la Cafteuse doutez comme moi-même je doute doutez comme mon client l’homme-industrie doutez doutez doutez car peut-être car si j’ai bien compris car si c’est cela alors regardez cette carte elle est verte ou jaune pourquoi voir rouge pourquoi la science aurait un biais dès lors qu’elle touche un billet moi-même j’en ai et pourtant je doute doutez doutez je vous en conjure doutez Madame la juge doutez en cravate doutez même sans la Cafteuse ne fait que cafter alors dans un regard d’enfant la Ronde sort les dents et la juge le marteau pour les absents les os les méchants ont toujours tort et la Ronde chante rit pleure de ce premier jour qui est le leur et la Ronde s’ouvre craque beugle entrez dans le cercle attendra le cercueil
— Le Jardinier (L’Apiculteur), Sénèque Obin, 1958. (The Haitian Art Society)
Quelques éléments de contexte…
Comme précisé dans le 13ème numéro de Tendresses, ce poème se déroule en deux actes. Le premier s’intéresse aux origines coloniales et extractivistes de l’agriculture industrielle, et entend rappeler l’importance d’une convergence des luttes écologiques et décoloniales – comme souligné hier par différentes organisations rassemblées à Paris en soutien aux Soulèvements de la Terre, le lendemain de la mort de Nahel, tué d’une balle dans le cœur par un policier.
Le second acte se concentre, pour sa part, sur le procès Justice pour le Vivant, dans lequel cinq associations (POLLINIS, Notre Affaire à Tous, l’ANPER-TOS, l’ASPAS et Biodiversité sous nos pieds) ont attaqué l’État pour « manquement à ses obligations de protection de la biodiversité ».
Le verdict de ce procès, initialement prévu pour le 15 juin, est finalement tombé ce matin, le Tribunal administratif de Paris reconnaissant pour la première fois la responsabilité de l’État dans l’effondrement du Vivant. L’État, soutenu dans ce procès par différents géants de l’agrochimie (Bayer, Corteva, BASF…), a ainsi été enjoint à :
Prendre toutes les mesures utiles pour respecter les objectifs de réduction des pesticides prévus par les plans Ecophyto ;
Et protéger, comme la loi l’y oblige déjà, les eaux souterraines du territoire français des effets des pesticides et de leur résidus.
Ce « tournant dans la lutte contre l’effondrement de la biodiversité en France » selon les associations présente toutefois une lacune. Contrairement aux suggestions de la Rapporteuse Publique, le Tribunal n’ordonne pas à l’Etat de réviser l’évaluation des risques des pesticides en France. Un point sur lequel « les associations feront appel devant la Cour administrative d’appel de Paris ».
« Il s’agit d’une première étape indispensable pour enrayer l’extinction en cours. Face à l’urgence de la situation, L’État peut et doit maintenant mener les transformations nécessaires rapidement, en s’appuyant sur la science indépendante et de manière transparente », concluent les requérantes.