Tendresses neuvièmes
Bienvenue dans ce 9ème numéro de Tendresses – une lettre de poésie résistante, illustrée et contextualisée, chaque 3ème dimanche du mois.
Un quart Nation rois carburants
Un soleil austère et froid prend chair et la rue fière et claire la rue bordel la rue rebelle ne râle pas elle milite Un quart Nation rois carburants les ruminés les dominants gaz pétrole charbon les expulsés l’extraction ne manquent que deux ans de chair à canon : comprenez vous ne comprenez pas la juste-équitable-nécessité de murer ce trou que nous vous avons creusé mais la rue fière et claire la rue boucan la rue torrent ne ploie pas elle dévore sa proie Un quart d’Assault rois car rapaces minimum soixante-quatre ans à minimum mille deux cents quand la balle manque sa cible les plateaux vous la livrent et Allo Beauvau quand le tir crible : comprenez vous ne comprenez pas ces mitoyens ne savent ni compter ni travailler COVID sécheresses monnaie flambée leur responsabilité mais la rue fière et claire la rue artère la rue cerbère millionne encore et à droite l’Assemblée charogne Un quart malin roi d’Arminan OQTF pour le peu d’opposants les Français les vrais ont compris aux autres : comprenez vous ne comprenez pas ma mère elle travaille mais la rue fière et claire elle fait ses devoirs accoutumée aux langues de bois en meute elle aboie : La même soupe est servie Avec les mêmes croutons Qui brûlent notre avenir Tout en scandant son Nom Une car ensemble, reine car vivante la rue pouvoir la rue palabre la rue miroir elle ravage les coeurs droits les poings hauts transpirent derrière le même argot d’étoiles et d’oiseaux le même ciel nouveau
— Plum feast in the Moonlight [Banquet de pruniers au clair de lune], Reiji Hiramatsu.
Quelques éléments de contexte…
Le débat autour de la réforme des retraites s’est clos à minuit ce vendredi pour l’Assemblée, sans vote des députés, sous les huées de la gauche, et par le biais du 49.1 — moins connu (jusqu’alors ?) que son benjamin. Une méthode qui limite également à 15 jours les débats au Sénat, où le projet de loi sera examiné à partir du 28 février.
Une commission mixte sera ensuite chargée de trouver un accord entre les deux chambres, avec une date limite d’examen le 26 mars au Parlement (= Sénat + Assemblée). Si ce dernier ne se prononce pas, la réforme pourra être mise en oeuvre par ordonnance.
Rien n’est encore perdu donc, et l’espoir pourrait s’embraser ce mardi 7 mars — jour où l’intersyndicale entend mettre la France « à l’arrêt dans tous les secteurs ».
Ce poème espère ainsi être une invitation autant qu’une mise en perspective de certaines stratégies de l’exécutif, dont les prises de parole se découpent en trois paires de sizains (strophe de 6 vers) mis en opposition par la ponctuation « : » et les 2 (ou 3) vers « comprenez / vous ne comprenez pas ».
Un choix opéré en miroir de la pédagogie invoquée par le gouvernement : le problème, ce n’est pas le projet de loi, c’est qu’on ne se comprend pas.
Le tir est toutefois corrigé en route par le ministre de Travail en conférence de presse — « la pédagogie laisse toujours entendre que si les gens ne sont pas d'accord avec nous, c'est parce qu’ils n’ont pas compris » (Dussopt, 26/01) — et le fusil change d’épaule : la rue se fait bordel remplie de fainéants (Darmanin, 28/01).
Ce sont celles et ceux d’à côté, les « mitoyens » aux droits rabotés, les boucs émissaires aux lourdes responsabilités.
Une stratégie basée sur une forte présence dans la presse et la réverbération de mots clés (quelques éléments de langage…). Le vers « Un quart d’Assault rois car rapaces » entend ainsi jouer sur l’offense et la défense (« carapaces ») médiatiques et armées grâce à la sixième fortune de France (quelques éléments de dépendance…).
De cette présence médiatique découle un autre risque, la minimisation des mobilisations. Ce poème entend en prendre le contrepied en rappelant que la rue occupée n’est pas une rue : face aux « langues de bois », elle jure le même « argot d’étoiles et d’oiseaux » ; face aux ombres du passé, elle chante un seul et « même ciel nouveau ». C’est un espoir pour qui la vit, un danger pour sa cible.
A bientôt !