Tendresses dix-huitièmes
Bienvenue dans ce 18ème numéro de Tendresses – une lettre de poésie résistante, illustrée et contextualisée, chaque 3ème dimanche du mois.
Nadir
ami·e entends tu les monstres sont de sortie les ombres grouillent sous nos lits ami·e entends tu le cœur battant des corps sans vie et la pénombre consentie les yeux révulsent les cœurs se brisent qui aurait pu prédire les empires les exils les colons le nadir les barrières les missiles les bâillons l’embargo la soif la faim la colère la haine la poudre d'hier l’histoire ne compte pas il faut condamner condamner condamner d’un côté condamnés condamnés condamnés de l’autre l’histoire compte les nombres restent timides les milliers taisent les familles les blessures les victimes caméras hors Gaza attention hors nakba proscrire le retour s'il n'est de flamme que dire aux horreurs ami·e entends tu soixante-quinze rivières de sang embaument l’ONU et la SDN d’antan ami·e entends tu les feuilles d’olivier réclament leurs parents et les enfants de leurs enfants les regards se serrent qui aurait pu prévoir ne plus croire aux prières ni indépendance ni autonomie utopies et rêves d’un État d’apatrides au creux d’un apartheid les refuges enfantent les refuges l’armée la plus morale du monde porte les traits du déluge des astres entrelacent les bombes mourir une fois dans la vie une fois dans la mort la croix est tombée le Christ inversé éclore une fois dans la mort une fois dans la vie la marmaille danse sur des cordes d’acier au-dessus des charniers que dire aux aurores ami·e entends tu l’oiseau du tonnerre la coloquinte en fleurs ami·e entends tu la lune crier ses éclairs quand l’aube écœure ohé cyprès puits orangers que pousse cette nuit où vos semeurs récolteront la paix ohé colons des temps présents et passés qu’éclate enfin notre agonie que s'exalte sans fin la liberté
— Le Christ inversé, malcio, 2023.
Quelques éléments de contexte…
Ce 7 octobre, les attaques du Hamas en Israël ont fait 1 200 morts, dont 33 enfants (30 autres étant encore retenus en otage). La contre-attaque de l’État hébreu se poursuit encore à ce jour et, dans la bande de Gaza, plus de 11 000 Palestinien·es, dont 4 630 enfants, y ont déjà trouvé la mort.
Intitulé Nadir — emprunté de l’arabe nazir, il s’agit du point de la sphère céleste opposé au zénith, dont le tracé traverse le centre de la Terre —, ce poème entend revenir sur certains éléments (historiques et/ou d’actualité) relatifs à cette guerre.
1er élément : la perception du conflit dans l’Hexagone. Comment décrire, pour Israël autant que pour la Palestine, l’abominable ? Au lendemain des attaques du Hamas, l’expression « crimes de guerre » ne suffit plus. Si, outre-manche, la BBC refuse d’employer le terme « terrorisme », la politique et les médias français ont plus volontiers consenti à reprendre les éléments de langage du Tsahal.
« Pour ceux qui, dans la situation présente, en ont fait un point d’abjuration, explique l’économiste Frédéric Lordon, terrorisme a une irremplaçable vertu : donner une violence pour dépourvue de sens. Et de causes ». La répression d’Israël s’en voit légitimée, et les victimes palestiniennes déshumanisées. Deux poids, deux mesures :
— « de l’autre l’histoire compte les nombres restent timides les milliers taisent les familles les blessures les victimes » —
Les vers « Ami·e entends tu » — repris du chant des partisans, l’hymne de la Résistance française sous l’occupation de l’Allemagne nazie — entendent précisément saisir ce contraste.
2ème élément : les composantes coloniales du conflit. S’il serait ici trop long de les détailler, une vidéo d’Histoires Crépues revient sur les rôles des empires coloniaux français et britanniques, de l’ONU et la Société des Nations (SDN) avant elle, dans la création d’Israël.
— « ami·e entends tu soixante-quinze rivières de sang embaument l’ONU et la SDN d’antan » —
Autre composante coloniale, la présence de colons israéliens en Cisjordanie, et le sort réservé à la bande de Gaza et aux plus de 5 millions de réfugiés palestiniens privés de droit au retour. En 2022, un rapport d'Amnesty international sur Israël dénonçait un apartheid de l’État hébreu contre les Palestiniens.
3ème élément : la résistance palestinienne, présente, future et passée.
Les vers « mourir une fois dans la vie / une fois dans la mort » sont ainsi repris du poète Mahmud Darwich, dans sa Lettre d’Exil (1964).
« quel crime avons-nous commis — Ô mère — pour que nous mourions deux fois. Une fois dans la vie et une fois dans la mort »
L’oiseau du tonnerre provient, pour sa part, du mythe d’un peuple autochtone d’Amérique réutilisé par le poète palestinien Samih al-Qâssim.
« Au pays qui est devenu “les États-Unis d’Amérique” vit toujours une tribu d’Indiens appelée “Zuzi”. On dit que cette tribu attend un oiseau du sacré. Dès que ses ailes frappent aux portes de l’horizon, le tonnerre se met à gronder, les éclaires à fendre le ciel et la pluie à tomber… pain, liberté et roses. »
Le vers « la coloquinte en fleurs » fait quant à lui référence au Handala, un dessin de Naji al-Ali devenu un symbole de résistance palestinien.
Les éléments de contexte (disséminés dans le collage illustrant ce poème) prennent ici fin mais vous trouverez glissés, ci-dessous, quelques détails sur une nouvelle revue à découvrir.
Nouveau Monde : Tendresses dans la revue Cahot
« Le monde crame et personne n'est là pour l'éteindre, tu le sais. On le sait nous aussi. Alors peut-être qu'on peut commencer par ça. (...) Se regrouper, faire commun, partager un peu du feu quand il fera de nouveau froid »
Nouvelle née parmi les publications littéraires, la revue Cahot édite aujourd’hui son 1er numéro, Nouveau Monde. Celle qui entend « voir dans les crises actuelles, non pas le chaos présent et à venir, mais un cahot sur la route du mieux » y publiera les contributions d’une quarantaine d’artistes, parmi lesquelles un poème extrait de Tendresses, Poudrière.
Les précommandes sont ouvertes pour une livraison courant décembre.
A bientôt,
malcio